Chargée de nombreux bouleversements, Sardaigne, île merveilleuse, spectatrice muette et démunie, pour la deuxième fois, je dessine tes courbes et trace tes contours.
Sardaigne, terre de refuge et d’exil, quand rien ne va plus, c’est ici que je me sauve pour me recouvrer, me réinventer, revenir à moi, mourir et renaître. Sardaigne, tu m’accueilles comme une mère pour la 2ème fois sur ton sol luxuriant, riche et savoureux. Que je t’aime. Ici, dans tes bras, je me sens un peu chez moi. Je te parcours délicatement accompagnée de ma fidèle et discrète confidente métallique.
Il y a un an presque jour pour jour, je venais te découvrir, en moto, seule et je t’esquissais par l’Est. De nombreuses péripéties : la perte de mes photos par maladresse (d’où des incohérences possibles dans la chronologie du 2eme diapo), l’opposition à mes moyens de paiements liée à une arnaque à la CB et une nouvelle maladresse, un antivol de casque qui ne veut plus collaborer et reste fermé, une amende pour mauvais stationnement à régler immédiatement en cash pour garder ma moto. Mais aussi, par trois fois et malgré mon envie de solitude, la rencontre d’Andy, un motard allemand qui veillera sur moi sans le savoir, tout d’abord en s’assurant que je ne tombe pas en panne d’essence (suite à la perte de ma cb), puis au village suivant avec la rencontre d’un dingue qui m’agresse et veut brûler ma moto car je ne le suis pas et enfin sur le bateau. Nous ferons la traversée du retour ensemble. Il accueillera tout mon désarroi et m’encouragera à suivre le « Camino de Santiago ». Ces personnes que l’on croise pendant nos voyages qui apparaissent et disparaissent, comme des guides… Sorte d’ange gardien.
Cette année, me revoilà dans « l’obligation » de repartir en Sardaigne, pour les mêmes raisons, sans billet retour cette fois. Je pars et puis c’est tout. Je rentrerai le moment venu. Des copains vérifient ma moto et me voilà partie, la boule au ventre.
Ce qui va marquer ce road trip, mon « Camino de Santiago », « Mon chemin de Compostelle », c’est la rencontre des Belges, notamment Thierry et Roxanne, ceci grâce aux aléas de Corsica Ferry qui retarde notre départ de 26 heures… Merci ! Thierry endossera le rôle de l’ange gardien sur ce parcours. Sur le bateau, les belges m’interrogent « Tu rentres quand ? Tu vas vers où sur l’île » … Je suis sans réponse. Je pars, j’ai des trucs à déposer et à terminer là-bas, c’est mon unique réponse. L’un d’eux me dit alors de partir dans l’autre sens cette fois. Je démarre ainsi par l’ouest et laisse couler…
Ainsi je repars pour un tour d’île avec une « délectation » décalée mais aussi avec de lourds bagages émotionnels, je suis tellement trop chargée, tellement trop. Décalée, comme quand on est là devant une merveilleuse charlotte choco-poire mais que notre estomac noué nous prive du plaisir de la savourer. Je ne parviens pas à m’émerveiller. Pas encore. Je reconnais ces villages que je traverse : Alghéro, Bosa, Orstani, Iglesias, San antiocco, Chia, Pula, Cagliari …. Quant aux spots de plage, je n’en retrouve qu’un seul. Mais c’est sans importance. Je veux juste poser un peu de tout ce bordel à chaque endroit où je vais m’asseoir. Avec les belges, on se raconte nos avancées, nos mésaventures : les motos qui tombent ou les pièces qui cassent. On se soutient à distance. Et puis je me pose à Villasimius et rencontre l’équipe du bateau où je vais me prendre une bonne beigne et subir un scalp de nez. La vache…. Et le capitaine, de sa poigne de marin qui me dit à tout va « Va bene » en me mettant de bonnes tapes dans le dos, manquant à chaque fois de me décoller la plèvre… Mais Villasimius est marqué par la gentillesse de l’équipe, tout particulièrement Hermès, ça fait du bien. Villasimius, espace d’accueil cher à mon cœur.
La route m’attend alors que Villasimius aurait aimé me garder un peu. J’aurai dû rester. C’est d’ailleurs débile ces conditionnements qui nous suivent même quand on est à 1000km de chez soi et que personne ne nous attend de surcroît ! Je m’auto énerve. La pluie aussi va me plomber au moment où j’attaque la merveilleuse ss125, l’Orientale, jusqu’à Olbia… Je n’ai pas pu me régaler comme j’aurais dû. Mais peu importe, les choses sont ainsi. Mais cette route est d’une indécence par sa beauté, son canyon. L’année dernière elle était un spectacle jaune, intense et odorant de genets en fleurs. Cette année, c’est un ciel de plomb gris foncé et menaçant qui m’accompagne. Je m’efforce d’accueillir l’orage avec sérénité, persuadée que les choses sont justes.
C’est à Olbia, c’est ça, que je vais enfin parvenir à poser quelques mots, à structurer ma pensée, gribouiller, crayonner mes émotions, écrire quelque chose qui compte et vient attester du bienfait de ce périple. Les choses prennent sens après plusieurs jours d’errance, une semaine. Je suis fortement émue, évidemment. Ces mots étaient nécessaires et promettent d’enclencher une bascule, un processus. C’est finalement peut-être dans ces moments de mélancolie que l’art s’exerce le mieux, que la parole se délie et que les maux s’expriment. L’art n’est il pas le meilleur médium à nos névroses ? Que ferais-je sans toi ?
Je compte me poser à l’Archipel de la Maddalena, et y rester un peu, le temps que j’ai envie. Je réalise mon envie cette fois. Faire le tour de l’archipel en bateau m’avait été impossible l’année passée. Je tenais à le vivre. Cette excursion d’une journée va me remplir le cœur malgré tout, la beauté de l’archipel est sans nom, je ne parviens pas à la décrire tant il me touche tant je suis subjuguée, c’est à pleurer de beauté, c’est presque trop. Je suis démunie par la splendeur de Santa Maria et cala la Corsera. C’est juste… pure et beau.
Au 5eme jour dans l’archipel, je me dis qu’il est peut-être temps de regarder les horaires de ferry… et de rentrer… Ou passer par la Corse… Histoire de traîner un peu ?… Non, c’est peut-être bien. Je retourne à l’île Caprera et fait le tour de la Maddalena, pour savourer chaque dernier instant, humer l’atmosphère, toucher son sable, regarder loin devant et tout autour de moi, en conscience, Maddalena, comment te dire au revoir ? Là, à cet instant, mon cœur se serre si fort.
La Sardaigne, « è bellissima« . Je t’honore : assez préservée sommes toute, des routes parfaites pour rouler, des paysages à couper le souffle, je reviendrai, sois en certaine. J’aime tes contours, tes côtes, ta diversité, ton peuple, ta lumière, tes orages, ton ciel immense, tes matins, tes nuits, tes roches aux multiples visages, ton eau limpide, tes couleurs, tes urbex, ta modestie. J’aime aussi la capacité à m’accueillir, cette manière que tu as d’absorber la douleur d’une âme tourmentée et saccagée.
Je n’étais peut-être pas digne d’être prise en charge si chaleureusement. J’aurai voulu être beaucoup plus reconnaissante mais mon cœur était là, béant, comme un chat éventré au milieu d’une ridicule nationale. Les entrailles à ciel ouvert alors que les véhicules passaient encore dessus avec acharnement. Encore et encore. Sardaigne, je j’ose timidement te rendre hommage par ces quelques mots.
Partie 19 jours, seule, en moto, 2000km, mes proches non loin, les belges, l’équipe de Villasimus. Je reviendrai.